Le Silo a déménagé


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Maïder Fortuné, Vidéo et après, Lundi 6 décembre 19h

Once Forever, Maïder Fortuné, 2008, Courtesy Galerie Martine Aboucaya.


"Les installations vidéographiques de Maïder Fortuné exposent le temps au travail, qu’il s’agisse du temps technologique, du temps des récits cités, ou bien du temps intime des spectateurs. Entre mouvement et suspens, l'enjeu de chaque proposition est l’expérimentation d’un face à face avec l’image, d'une traversée de son épaisseur, d'un effeuillement de ses strates, en somme, d’une véritable relation à son processus d'apparition. Au cours de cette séance, l'artiste reviendra sur l'ensemble de sa production et présentera des extraits de ses œuvres parmi lesquelles : Totem (2001), I wasn’t crying but the ground wasn’t still (2005), Licorne (2006), Curtain ! (2008), A venir (2008) et Once Forever (2008). Maider Fortuné fera également une présentation de son dernier travail Hold On, réalisé en 2010."


Née en 1973 Maïder Fortuné vit travaille à Paris, résidente de la Villa Medicis en 2010. Récemment, ses oeuvres ont été montrées dans les expositions Elles, Centre Pompidou, Paris, Bild für Bild – Film und zeitgenössische Kunst, Museum Am Ostwall, Dortmund, Dans la nuit, des images, Grand Palais, Paris, Myth of chilhood, CCA Majorque, Cue: artists’ videos, Vancouver art gallery, Loop art fair, Barcelone. Son travail est représenté par la galerie Martine Aboucaya (Paris) qui lui consacre une prochaine exposition du 8 Janvier au 26 Février 2011.

Centre  Pompidou, Cinéma 1.

A propos de Hard Core, Walter de Maria (1969)

« Where is the best place in the world? It's what I saw in Nevada »


Walter de Maria découvre le désert du Nevada en 1963, lors d’un long voyage en voiture: « When I had first driven the country in the summer of 1963 from New York back to California, it was the most terrific experience of my life, experiencing the great plains and the Rockies, but especially the desert, you know. […] Where is the best place in the world? It's what I saw in Nevada. […] the desert is the most aesthetic place in the world, outside of the ocean, maybe more than the ocean, and when you're in the middle of the Sahara desert you know that it's one of the most beautiful places in the world, that's all. There's no question. You don't have to explain it; it's just obvious.»
En mars 1969, pour le projet de Fernsehgalerie de Gerry Schum, Walter de Maria propose au chapitre Land Art une action fameuse, Two Lines Three Circles on the Desert, réalisée dans le désert de Mojave en Californie. L’artiste trace deux lignes parallèles au sol et les parcourt jusqu’à rejoindre la ligne d’horizon. Après vingt-quatre pas, la caméra tourne à 360°, mouvement répété trois fois, alors que l’artiste continue à s’éloigner jusqu’à disparaître du champ. On reconnaît ici le type d’intervention spécifique au Land art américain, qui trouve dans le désert un terrain idéal pour l’élémentarisation des gestes qu’il promeut.
Dans Hard Core, tourné quelques mois après Two Lines en juillet 1969, ces principes croisent ceux de l’élégie, de l’hommage et de la parodie de western. Le film se poserait ainsi comme l’envers de la performance minimale réalisée pour Gerry Schum, son pendant costumé. Réalisé avec les moyens techniques de la télévision (Walter de Maria se souvient du professionnalisme du tournage), le film est financé par la Dilexi Foundation de San Francisco et sera retransmis à la télévision. L’artiste en a préalablement rédigé le script. Une fusillade dans le désert étendue sur une demi-heure, filmée avec des mouvements de caméra extrêmement contrôlés, au milieu d’un paysage qui en serait la clé de voûte : le désert de Black Rock dans le nord du Nevada. Deux personnages se font face, interprétés par Walter de Maria et Michael Heizer, surgis d’un western dont il ne resterait que la structure la plus dépouillée : deux hommes armés, le ciel, les montagnes et le désert. Sept longs plans à 360° viennent trancher horizontalement dans cette « matière première ». Selon Suzaan Boetger, les artistes rejoueraient ici l’évocation bien connue de la « Wild West virility». La déconstruction que le film opère sur les clichés du genre en révèle aussi bien, effectivement, le degré de fantasme, que la teneur ornementale : les emblèmes recensés du western (pistolets, bottes, chapeaux), isolés par des gros plans, sont les reliquats d’un monde en voie de disparition, dont on peut désormais rejouer indéfiniment le scénario originel. Le caractère « pop » de ces plans contraste avec le traitement globalement minimaliste et austère de l’ensemble, dédié au vide, sans dialogue, uniquement traversé par une bande-son composée par l’artiste. Le désert tient bien dans la double équation qu’à quelques mois d’écart Walter de Maria effectue : espace infini à parcourir et décor de l’infini scénario américain, celui de l’homme aux colts d’or.


Clara Schulmann



Les 12 et 16 novembre, Séances Déserts à l'Inha

Avec le collectif bo-ring et l’exposition « Nous ne notons pas les fleurs, dit le  géographe » (Bétonsalon), 
Le Silo vous convie à deux séances autour du « Désert »

Les 12 et 16 novembre, à l'Auditorium de l'Institut national d’histoire de l’art, Paris, 18h30
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"Face à l’océan, on  ne pense pas à la forme. On peut y pénétrer si rien ne barre  notre chemin. Un monde sans objets, sans interruption – créer  une œuvre sans interruption ni obstacle. Cela signifie accepter  la nécessité d’entrer simplement et directement dans le champ  visuel comme si l’on traversait une plage déserte pour  contempler l’océan".
Agnes  Martin

 
* Vendredi 12 novembre 2010 à 18h30 : « Le Désert du réel »:

Films: "King Nine will not return", La Quatrième  Dimension (1969) / U.S. Federal Civil Defense Administration, Operation Cue (1955) / Cordelia Swann, Desert Rose (1996) + sélection d'extraits.

* Mardi 16 novembre 2010 à 18h30 : « La Géographie des déserts »:

Films: Inger Lise Hansen, Travelling  Fields (2009) / Walter de Maria, Hardcore (1969) (sous réserve)  + sélection d'extraits.


Institut national  d’histoire de l’art
Auditorium, Galerie Colbert
2, rue Vivienne /6, rue des Petits Champs
75002 PARIS
Métro : Bourse (ligne 3), Palais Royal/ Musée du Louvre  (ligne 1)
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Bo-ring, une proposition de Virginie  Bobin et Julia Kläring
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L'Atlantide, Georg Wilhelm Pabst (1932)


A is for Atom, B is for Bomb, D is for Desert










COLD MEMORIES – un désert d’explosions fantômes
Juan Sebastian Camelo Abadia

Á relire America de Jean Baudrillard, il est évident que la sidération de vitesse et de whisky glacé au milieu de la Death Valley est une monumentale erreur de méthode. Ou plus précisément un malentendu de méthode. Le Capitalisme totalisé décrit par Baudrillard fait du réel un mirage et une marchandise (à l’image de Las Vegas). La guerre du Viêt-Nam, ce long conflit meurtrier, serait, par exemple, un objet à mi-chemin entre les premiers films de Rambo et Apocalypse Now. C’est le fameux « désert du réel » relayé par les films Matrix, puis par Slavoj Zizec, qui l’explique à sa manière.

La position de fascination théorique exprimée par Baudrillard a été souvent critiquée comme complaisante et / ou comme cynique. Sans revenir sur le fait que ces deux reproches ne recoupent pas grand chose d’autre qu’un reproche moral (c’est mal d’être obnubilé par le Capital), ajoutons seulement que l’approche baudrillardienne se situe - sans l’expliciter tout à fait - du côté du sujet, et non de son objet. L’incapacité innée de la théorie baudrillardienne à analyser le capitalisme, c’est-à-dire à le décomposer dans ses parties hétérogènes, historiques, contradictoires, est l’envers exact de sa capacité à décrire avec force certains effets du capitalisme avancé sur les sujets : l’impression de bloc et d’écoulement naturel de l’ordre marchand, où toute chose finit par gagner sa place dans la vitrine universelle de signes à valeur gelée, égalisée, en tant qu’icônes ou produits dérivés.

Mais à relire encore à rebours un livre comme Simulacres et simulation, dont le titre m’évoque à lui seul le monde immatériel et arbitraire de la spéculation financière, on tombe sur une analyse géopolitique des plus concrètes. Simulacres et simulation pourrait être décrit comme le livre de la bombe H. En effet Baudrilard stipule le fait terriblement matériel que l’existence de l’arsenal nucléaire crée par sa seule existence l’impossibilité politique de passer à l’un des actes anthropologiques les plus essentiels : la guerre, nous privant ainsi de tout un pan du monde de l’action, dont – j’ajoute - l’imaginaire révolutionnaire dépend directement. Prolongeant cette observation, on pourrait dire que l’irréalité produite par le capitalisme marchand se continue et s’exacerbe dans sa techno-science. L’alliage génétique/atomique est dans ce livre un véritable leitmotiv ; et le nucléaire est cette chose qui, touchant à notre matériel génétique, désagrège de manière irréversible notre existence biologique. L’atome et le génome, ultimes briques de notre expérience matérielle, nous nous acharnons à les décomposer.

La sidération cool du désert américain est donc l’autre moitié de la sidération glacée de l’effroi atomico-génétique. Dédoublement paniqué qui fait de la Death Valley un lieu où le casino est infiniment plus souhaitable que la troisième guerre mondiale. Aujourd’hui, la peur de la bombe continue de glacer l’Europe, devenue soudainement ultra-pacifique, mais aussi bien les diplomaties hystériques des couples ennemis Iran/Israël ou bien Inde/Pakistan.

Sans vouloir négliger les analyses des mutations de la Valeur posées par Baudrillard dans le sillage de Marx, dans ses réussites et son échec, il vaut la peine de se pencher à présent sur ce qui dans son œuvre relève de l’analyse de phénomènes étrangers au capitalisme, mais qui entre en résonance avec lui. Le « terrorisme » - il semble que nous ayons tous accepté ce terme -, par exemple.
Car la bombe, même artisanale, ou la voiture piégée dont Mike Davis a retracé l’histoire, activent cette même disproportion entre des acteurs (quelques individus), leurs outils (quelques menus objets) et par ailleurs leurs effets sur la réalité sociale, soumise au fantôme de l’explosion subite. Soumise au fantôme (ou au fantasme, pour d’autres) d’une rupture causale telle que toute bombe la produit : ça explose sans prévenir, n’importe où et n’importe quand, déchiquetant en un instant ce qui a mis si longtemps à s’installer jusqu’à se faire oublier – la normalité. L’espace et le temps perdent leur continuité. Telle la marchandise, qui efface à la fois son origine (le travail) et son usage au profit exclusif d’une qualité secondaire, l’échange, la bombe rompt elle aussi le cheminement mental d’un avant et d’un après. Du point de vue du sujet, une bombe est une apparition, un miracle négatif qui fait sauter en un clin d’œil les laborieuses lois naturelles de l’action et de la mémoire. Un traumatisme qui commence à agir avant même d’avoir eu lieu pour peu qu’on en ait peur. Or, on a raison d’en avoir peur. Le désert, en ce sens, est le lieu métaphorique de cette dévastation en puissance, miroir post-nucléaire apaisé : promesse d’un avenir post-traumatique, quitte à en être absent.

Mais, avez vous déjà étendu en pleine nuit le délicat bruissement cristallin du sable balayé par les vents le long des dunes dans un vrai désert ? Moi non, on me l’a raconté.

Topique du retour du réel, le choc en personne



King Nine will not return (1960), épisode 37 de la série La Quatrième Dimension. Tunisie, 1943 : après le crash du bombardier B-24D Liberator, le capitaine James Embry se réveille seul en plein désert. Tous les membres de son équipage ont disparu sans laisser de traces : ni cadavres, ni le moindre signe d'une improbable survie. Où sont passés Kline, Blake, Kransky, Connors et Jiminez, les Cowboys du Bronx? Leur disparition est inexplicable (inacceptable). Tout cela échappe à la logique, sans compter le passage dans le ciel d’avions de chasse supersoniques, des F9F Cougar en usage seulement à partir de la Guerre de Corée. Ceux-ci mettent cependant Embry sur la voie « de la raison ». Il reprend bientôt conscience dans une chambre d’hôpital. États-Unis, 1960 : Embry a sombré dans un état cataleptique après avoir lu dans la presse que la carcasse d’un bombardier (celui de la mission dont il s’était involontairement désengagé pendant la Seconde Guerre Mondiale) avait été retrouvée dans le désert. Post-traumatisé, il souffre du syndrome du survivant.

Comme l'avion qui passe dans le ciel du film de Luis Buñuel, Simon du désert, les F9F Cougar sont ici le signe d’un débordement du réel en personne dans le monde du fantasme (ou l’inverse). La présence du motif chez Buñuel et dans la série de Rod Serling est peut-être également un signe : si la Quatrième Dimension relève génériquement de la science-fiction, son esthétique est plus fondamentalement celle du surréalisme et, dans la lignée de Buñuel, délivre en quelque sorte une autre « preuve esthétique du freudisme » (Bazin). Car le désert est un motif éminemment surréaliste (Dali, De Chirico, Ernst...) et une formidable scène de substitution répondant à la difficulté de représenter l’inconscient. Le désert comme équivalent de la sphère inconsciente déploie la scène traumatique dans sa plus grande pureté : surface d’inscription sans témoins (sans Autre) et au cœur du Moi (explorant les zones où il est absent à lui-même) ; région impossible, car elle fait tomber la différence entre le décloisonnement (l’espace illimité) et le cloisonnement (le plus redoutable des labyrinthes borgésiens). Dans la superposition du décor de l’épisode traumatique et de celui de sa reconstitution inconsciente, retournant au lieu du choc en personne, Embry a bouclé la boucle. La preuve : le sable retrouvé dix-sept ans plus tard dans ses vêtements.

Finalement, regarder un épisode de la Quatrième Dimension, c'est un peu comme de rêver que l'on rencontre Sigmund Freud en personne. Il va sans dire que les faits rapportés dans cet épisode sont inspirés d’une histoire vraie.


Jennifer Verraes