Mardi 29 juin, Auditorium de l'Inha - Les vidéos d'Ângela Ferreira



Si les installations d'Ângela Ferreira présentent des formes sculpturales d'importantes dimensions et combinent différents matériaux, ses vidéos sont d'une indéniable simplicité. Généralement peu montées (la forme du plan séquence unique est récurrente), elles ne présentent qu’une seule et même actrice (l'artiste), filmée le plus souvent de face et dans un jeu discret. Pourtant, après une analyse un peu plus attentive, on s'aperçoit que chaque vidéo résulte d'une recherche assez élaborée, aussi bien du point de vue historique (l’histoire est l’un des piliers du travail de Ferreira) que de celui de la gestuelle. C'est à travers des chorégraphies précises que l'artiste cherche à établir un pont entre le passé et le présent. Côté ibérique, l'auto-mise-en-scène est peut-être une manière de (re)vivre des événements marquants de l'histoire portugaise, auxquels l'artiste n'a pas assisté – elle était au Mozambique pendant la dictature de Salazar et la Révolution des œillets (1974). On aperçoit la présence latente de ces événements dans Untitled (1998) et Pega (2000). Côté africain, on constate l'effort de créer une écriture visuelle liée à des personnages emblématiques de l'histoire du continent: l'hommage à James Polley, organisateur d'un festival de cinéma au Cap sous l'Apartheid dans A Woman Like Polley (2003) et l'investigation sur les marques de la présence portugaise au Sénégal dans Joal la portugaise (2004).
Il est évident que la géopolitique traverse toute l'oeuvre d'Ângela Ferreira. Son rapport aux territoires est complexe : la position adoptée se situe à l'intermédiaire entre l'Afrique et l'Europe, entre le passé et le présent. À travers son œuvre vidéo, on comprend que son corps devient aussi territoire d'investigation et d'expérimentation. En incarnant des personnages emblématiques, ce corps témoigne d'un double mouvement. Premièrement, il s'agit d'un geste politique d'identification et de rapprochement. On peut ainsi dire que l'artiste s'identifie aux portugaises qui débarquèrent sur la côte sénégalaises au 17ème siècle, telles que Joana Alves, femme de marin qui donnera son nom à la ville de Joal Fadiouth, (Joal la portugaise, 2004). Cependant, cet effort d'identification marque encore plus clairement la distance : temporelle, dans le cas de Joal et Untitled ; de genre dans A Woman Like Polley ; et de rôle dans Pega.

PROGRAMME

Untitled, 1998, 4 min (boucle), couleur, DV, silencieux

Dans un plan unique, on assiste, au premier plan, aux mouvements d'une séquence de gymnastique aérobic, faits par l'artiste elle-même. Au fond, on aperçoit les contours du Stade National portugais, construit en 1940, où étaient organisés les festivals de gymnastique de la Mocidade Portuguesa (Jeunesse Portugaise) à l'époque de la dictature de Salazar.

Pega, 2000, 4 min (boucle), couleur, DVD, sonore

Enregistrement au ralenti d'une performance où l'artiste se met en scène habillée en « forcado », personnage présent uniquement dans les courses portugaises dont le rôle est de provoquer le taureau. Le son est lui aussi au ralenti, mais on peut comprendre parfois quelques « hé, taureau! » proférés par l'artiste. La caméra la filme de face, comme pour incarner le point de vue du taureau. La performance est accompagnée d'une sculpture en métal portant l'agrandissement d'une ancienne carte postale avec l'inscription « Le Portugal est formidable » et, au verso, une carte du globe où l’on peut identifier l'empire colonial portugais.

A Woman Like Polley, 2003, 5 min, couleur, DVD, silencieux

Hommage à James Aubrey Polley (1937-1999), longtemps directeur du Cape Town Film Festival, un festival de cinéma qui se tenait annuellement au Cap, affrontant les règles de l'Apartheid. Par son propre corps, l'artiste cherche à revivre, de manière condensée, les transformations physiques vécues par Polley au cours de sa vie, un ancien prêtre baptiste et membre de l'ANC, l’African National Congress.

Joal la portugaise, 2004, 6 min, couleur, vidéo, sonore

Filmée à Joal-Fadiouth, au Sénégal, la vidéo raconte, à la première personne, une des versions de l'histoire de la femme qui donna son nom à la ville, colonisée successivement par les portugais, les hollandais, les français et les anglais. L'oeuvre fait référence aux « signares », femmes d'origine portugaise ayant joué un rôle important dans la politique et l'économie locales, source d'inspiration du poète Léopold Senghor, premier président du Sénégal.


BIOGRAPHIE

Née à Maputo, au Mozambique, en 1958, ÂNGELA FERREIRA a étudié les Beaux-Arts au Cap, en Afrique du Sud. Depuis une vingtaine d’années, elle combine photographie, vidéo et sculpture, souvent sous forme d’installations, produisant des œuvres qui interrogent l’histoire de l’art, l’histoire et la politique. L’héritage du colonialisme européen en Afrique l’intéresse plus spécifiquement. En 2007, Ferreira a investi le pavillon portugais de la Biennale de Venise avec Maison Tropicale, œuvre qui recrée les maisons projetées par Jean Prouvé pour l’Afrique dans les années 1940 et 1950, et en enregistre les traces, car elles furent plus tard transportées en Europe et aux États- Unis. L’incursion d’Ângela Ferreira au Niger et au Congo a donné naissance au film Maison Tropicale, réalisé par Manthia Diawara (2008). Ferreira a exposé à la Biennale de São Paulo (2008) et dans différents musées et galeries au Portugal et en Afrique du Sud. En France, une partie de son travail a été montrée en 2008, lors d’une exposition individuelle au Centre d’Art Contemporain La Criée, à Rennes. Depuis 2003, Ângela Ferreira enseigne à la Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Lisbonne.