Le Silo : Dans What Remains is Future (2006), s’articulent différent « moments » de la conscience historique : mythologie, progrès, catastrophe… On y voit un engin fabuleux surgir comme d’un vieux rêve (une occasion manquée ?) dont il conviendrait cependant de se réveiller avant qu’il ne tourne au cauchemar. Précisément, vous faites brûler cette image de rêve…
Laurent Montaron : Ce qui m’a intéressé avec What Remains is Future, c’était de montrer un film stéréoscopique en utilisant la technique des couleurs complémentaires, rouge et bleu. Il s’agissait en quelque sorte de donner à voir un film qu’en vérité on ne pourrait pas voir tout à fait étant donné qu’il n’a jamais été question que l’on distribue des lunettes spéciales pour les projections. Par ailleurs, il y avait bien quelque ironie à représenter en 3D « invisible » une des premières catastrophes qui fut mondialement médiatisée, l’accident du Zeppelin Hindenburg en 1937. Techniquement, le film a été réalisé selon les méthodes et moyens des films de série B des années 50. Le dirigeable était une maquette suspendue à des fils, elle mesurait environ 1m50 et c’est la caméra (HD) qui se déplaçait autour. Il me semble que le dédoublement des couleurs crée un véritable effet d’étrangeté, amplifié par l’utilisation de la fumée dans laquelle apparaît le Zeppelin (fumée qu’on agitait avec de grands panneaux, tandis que, de mon côté, j’allumais l’incendie avec de l’essence…). Cette fumée devait renforcer le caractère abstrait et irréel de l’apparition du Zeppelin. Elle participait aussi de l’effet dramatique que j’ai voulu créer afin de donner à sentir un peu de la tension historique attachée à cet événement. L’idée c’était aussi de renvoyer à quelque chose de l’esprit des utopies qui ont donné naissance au Zeppelin ou au Concorde par exemple, et de montrer comment ces choses-là se sont abîmées…
S. : Le titre de cette œuvre renvoie à une sorte de désordre chronologique, cela même sur quoi se fondent bon nombre des récits de science-fiction. Cette courbure du temps peut s’entendre aussi du point de vue de la valeur d’usage de la science-fiction qui nous parle peut-être moins du futur que de l’historicité du futur. Bien que ne s’y référant pas explicitement, il nous semble que cette manière de travailler sur le futur en tant qu’il a une histoire fait toute l’affinité de votre travail avec la science-fiction
L. M. : En effet, plus on avance et plus le futur a une histoire ! L’idée selon laquelle le futur a une histoire est une chose que j’interroge tout particulièrement dans mon travail à partir des outils d’enregistrement du son et des images. La plupart des appareils que j’utilise sont des appareils datés des années 60 et 70. Ce qui m’intéresse, c’est l’obsolescence de ces appareils. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Par exemple, les images enregistrées sur les bandes de cassettes magnétiques commencent seulement à disparaître maintenant. Cet effacement confirme que l’on en a bien fini avec l’ère pré-informatique. L’informatique a ouvert une voie nouvelle qui est venue relayer tous les outils antérieurs qui s’appuyaient sur des systèmes mécaniques. Aujourd’hui, la virtualité du calcul s’est complètement substituée à la mécanique.
S. : L’incendie du vaisseau amiral de l’Hindenburg a mis un terme à l’aventure du transport de passagers en dirigeables. N’est-ce pas aussi pour nous, aujourd’hui, l’image vive d’une invention privée d’avenir et d’un traumatisme infligé à l’idéologie du progrès ?
L. M. : C’est compliqué car tout cela est aussi en grande partie lié à l’Allemagne nazie. Quand on voit le Zeppelin dans le film, il ressemble à une espèce de cétacé, à un animal gigantesque et sans commune mesure avec les proportions humaines… Quand la France et le Royaume-Uni finançaient le développement d’un projet comme le Concorde, la question n’était peut-être pas seulement celle de la rentabilité. Aujourd’hui, il semble hors de question de mener un projet qui ne serait pas rentable. Finalement, le capitalisme a petit à petit grignoté l’esprit de l’utopie, seule compte la viabilité économique.
S. : C’est peut-être pour cela que l’on a parfois l’impression que le futur appartient au passé.
L. M. : Cela me fait penser à ce que l’on dit des Etats-Unis qui pouvaient envoyer quelqu’un sur la Lune pour rien et laisser crever des gens dans la rue. L’idéal américain, l’utopie de l’Amérique, c’était de porter le drapeau le plus loin possible pour fonder l’unité de la nation.
S. : Mais quand on met le drapeau sur la Lune, on fabrique surtout une image, un symbole. Dans un autre film que vous avez tourné à l’observatoire de Meudon, intitulé Readings (2005), vous évoquez justement l’imaginaire des grands espaces interstellaires.
L. M. : Dans Readings, je voulais interroger notre expérience du temps. La lunette astronomique nous donne une image qui est en retard, qui est décalée par rapport à notre présent de spectateur. L’image qui se forme sur la lentille correspond à la lumière d’une étoile telle qu’elle a brillé « avant » qu’on ne la regarde, si bien que c’est comme une machine à remonter le temps. L’image filmée elle-même est une image « sans actualité ». À cela, s’ajoutent les sous-titres qu’on peut lire à l’écran. Il s’agit d’un collage de phrases que j’ai montées à partir d’entretiens réalisés avec des liseuses de bonne aventure qui déchiffrent les lignes de la main. Je n’ai retenu que l’essence de leurs discours, les astuces de ce langage de la divination qui leur permet d’incorporer de force notre histoire dans leurs prédictions. Parmi ces tours linguistiques, il y a celui qui consiste à faire systématiquement appel à des choses qui relèvent du passé. Une des premières phrases, c’est justement : « vous êtes une vielle âme ». En effet, elles piochent un peu dans toutes les religions, s’appuient sur la croyance en la réincarnation, l’idée des cycles. La lecture est toujours une relecture.
S. : Vous vous transformez vous-même en guetteur de rêve au sens le plus littéral qui soit avec la pièce intitulée Somniloquie (2002). Pour cette installation, vous avez réalisé des enregistrements de propos tenus par une personne dans son sommeil. L’exploitation des éléments du rêve au moment du réveil participe de votre intérêt pour le moment de l’interprétation. Comment conscience flottante, mémoire et croyance s’articulent-elles dans votre travail ?
L. M. : Ce qui m’intéresse dans l’interprétation, c’est la formation du rêve. Ce qui apparaît dans un rêve, c’est simplement une succession d’images à laquelle on donne a posteriori du sens. Comment le sens advient-il à partir du moment où l’on place deux images l’une à côté de l’autre ? Autrement dit, ce qui m’intéresse, c’est l’idée que « raconter » un rêve est un exercice qui consiste moins à reconstituer ce qu’on a vécu « en rêve » qu’à construire le rêve comme récit, ce « comment je vais le transmettre » en passant par la parole. C’est à partir de là que le rêve prend corps. Le rêve, c’est ce qu’on a vécu, plus ce qu’on en raconte. Je m’intéresse aussi au rapport entre ce qui est personnel à l’interprétation et ce qui appartient aux autres. C’est un peu l’idée de la réciprocité du récit que j’essaie d’explorer dans mon travail. Dans Readings, par exemple, des morceaux de phrases apparaissent, mais c’est nous qui leur donnons du sens, parce qu’on va les lire (au moins mentalement, puisqu’il n’y a pas de voix-off). Forcément, on ajoute quelque chose au récit. Mon idée était de laisser une petite brèche, de faire en sorte que quand on lit la phrase « vous êtes une vieille âme », on se positionne mentalement par rapport à ça, par rapport à l’écoulement du temps.
S. : Devant vos pièces, on est souvent invité à extrapoler. Les principes de l’inachèvement, de l’empêchement ou de l’interruption sont au cœur de votre travail. Cette forme d’absentement est ce qui donne à vos pièces leur caractère d’amorce dont le sens dépend de notre capacité à spéculer à partir d’elles.
L. M. : Oui, c’est le principe par exemple d’une de mes dernières pièces, Silent Key (2009). Silent Key se présente d’abord comme une salle vide. J’ai changé tous les néons de la pièce en néons de lumière du jour. Depuis la salle d’à côté, dans l’exposition, on voit cette lumière dans l’entrebâillement de la porte qui fonctionne comme une sorte d’appel vers le dehors. Quand on entre dans la pièce, on se rend compte que cela n’ouvre pas du tout sur l’extérieur et que c’est encore une salle d’exposition. Le message morse qui était diffusé et qu’on pouvait entendre du dehors est coupé dès que l’on y pénètre et il n’y a rien à voir sinon que l’un des murs de cet espace est doublé d’un second mur en briques, qui vient à une trentaine de centimètres en avant de l’autre. C’est en sortant de la salle que l’on découvre à l’intérieur du mur, dans l’espace entre les deux parois, le magnétoscope sur lequel est enregistré le message morse, qui se déclenche à nouveau, quelques secondes après que l’on soit sorti de la salle. Le message morse en question parle du silence : la pièce incarne ce qu’elle raconte. C’est un peu une pièce tautologique dont on fait, malgré nous, l’expérience.
S. : Vous travaillez également sur la neutralisation, la perte et l’effacement des choses.
L.M. : Le problème est toujours celui du temps. Pour la pièce intitulée Melancholia (2005), par exemple, j’ai utilisé une machine à produire de l’écho : une chambre d’écho à bande de type Roland RE-201 arrangée. Le principe de fonctionnement de cette machine, c’est qu’une bande magnétique est lue successivement par plusieurs têtes de lecture tandis qu’une autre tête efface la bande afin que l’on puisse à nouveau enregistrer. Ma pièce est muette, mais j’ai conservé le schéma de l’appareil : c’est pour moi une sorte de schéma de pensée, une représentation du travail du temps, de son fonctionnement par accumulation de strates. Je voulais évoquer quelque chose de très poétique avec une machine très mécanique. Encore une fois, il s’agit d’une machine datée des années 70. À cette époque, on a cherché des solutions mécaniques pour reproduire les effets de certains phénomènes sonores. Par exemple, comment recréer en studio la perception du son que l’on peut avoir dans une cathédrale ? Aujourd’hui, avec un ordinateur, on est capable de donner un delay au son en quelques secondes : ça peut se programmer. Mais la question alors était de parvenir à le produire « mécaniquement »… Dans Melancholia, la machine fonctionne mais, encore une fois, demeure une part absente. J’aime assez l’idée d’enlever systématiquement une part. Cela me semble ajouter un supplément de sens, être plus signifiant que si je laissais les choses intactes. Cette part absente produit du sens parce que, nécessairement, on cherchera à compléter. J’ai également réalisé des pièces dans lesquelles un film est projeté dans des salles qui ne sont pas réellement accessibles. Le fait que l’on se retrouve à l’extérieur nous met en face du film mais aussi de son dispositif. Quand on est inclus dans le dispositif comme spectateur, l’on ne se pose plus tellement la question de savoir comment ça marche. Il s’agit encore pour moi de créer des situations nouvelles qui engagent l’interprétation.
Laurent Montaron : Ce qui m’a intéressé avec What Remains is Future, c’était de montrer un film stéréoscopique en utilisant la technique des couleurs complémentaires, rouge et bleu. Il s’agissait en quelque sorte de donner à voir un film qu’en vérité on ne pourrait pas voir tout à fait étant donné qu’il n’a jamais été question que l’on distribue des lunettes spéciales pour les projections. Par ailleurs, il y avait bien quelque ironie à représenter en 3D « invisible » une des premières catastrophes qui fut mondialement médiatisée, l’accident du Zeppelin Hindenburg en 1937. Techniquement, le film a été réalisé selon les méthodes et moyens des films de série B des années 50. Le dirigeable était une maquette suspendue à des fils, elle mesurait environ 1m50 et c’est la caméra (HD) qui se déplaçait autour. Il me semble que le dédoublement des couleurs crée un véritable effet d’étrangeté, amplifié par l’utilisation de la fumée dans laquelle apparaît le Zeppelin (fumée qu’on agitait avec de grands panneaux, tandis que, de mon côté, j’allumais l’incendie avec de l’essence…). Cette fumée devait renforcer le caractère abstrait et irréel de l’apparition du Zeppelin. Elle participait aussi de l’effet dramatique que j’ai voulu créer afin de donner à sentir un peu de la tension historique attachée à cet événement. L’idée c’était aussi de renvoyer à quelque chose de l’esprit des utopies qui ont donné naissance au Zeppelin ou au Concorde par exemple, et de montrer comment ces choses-là se sont abîmées…
S. : Le titre de cette œuvre renvoie à une sorte de désordre chronologique, cela même sur quoi se fondent bon nombre des récits de science-fiction. Cette courbure du temps peut s’entendre aussi du point de vue de la valeur d’usage de la science-fiction qui nous parle peut-être moins du futur que de l’historicité du futur. Bien que ne s’y référant pas explicitement, il nous semble que cette manière de travailler sur le futur en tant qu’il a une histoire fait toute l’affinité de votre travail avec la science-fiction
L. M. : En effet, plus on avance et plus le futur a une histoire ! L’idée selon laquelle le futur a une histoire est une chose que j’interroge tout particulièrement dans mon travail à partir des outils d’enregistrement du son et des images. La plupart des appareils que j’utilise sont des appareils datés des années 60 et 70. Ce qui m’intéresse, c’est l’obsolescence de ces appareils. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Par exemple, les images enregistrées sur les bandes de cassettes magnétiques commencent seulement à disparaître maintenant. Cet effacement confirme que l’on en a bien fini avec l’ère pré-informatique. L’informatique a ouvert une voie nouvelle qui est venue relayer tous les outils antérieurs qui s’appuyaient sur des systèmes mécaniques. Aujourd’hui, la virtualité du calcul s’est complètement substituée à la mécanique.
S. : L’incendie du vaisseau amiral de l’Hindenburg a mis un terme à l’aventure du transport de passagers en dirigeables. N’est-ce pas aussi pour nous, aujourd’hui, l’image vive d’une invention privée d’avenir et d’un traumatisme infligé à l’idéologie du progrès ?
L. M. : C’est compliqué car tout cela est aussi en grande partie lié à l’Allemagne nazie. Quand on voit le Zeppelin dans le film, il ressemble à une espèce de cétacé, à un animal gigantesque et sans commune mesure avec les proportions humaines… Quand la France et le Royaume-Uni finançaient le développement d’un projet comme le Concorde, la question n’était peut-être pas seulement celle de la rentabilité. Aujourd’hui, il semble hors de question de mener un projet qui ne serait pas rentable. Finalement, le capitalisme a petit à petit grignoté l’esprit de l’utopie, seule compte la viabilité économique.
S. : C’est peut-être pour cela que l’on a parfois l’impression que le futur appartient au passé.
L. M. : Cela me fait penser à ce que l’on dit des Etats-Unis qui pouvaient envoyer quelqu’un sur la Lune pour rien et laisser crever des gens dans la rue. L’idéal américain, l’utopie de l’Amérique, c’était de porter le drapeau le plus loin possible pour fonder l’unité de la nation.
S. : Mais quand on met le drapeau sur la Lune, on fabrique surtout une image, un symbole. Dans un autre film que vous avez tourné à l’observatoire de Meudon, intitulé Readings (2005), vous évoquez justement l’imaginaire des grands espaces interstellaires.
L. M. : Dans Readings, je voulais interroger notre expérience du temps. La lunette astronomique nous donne une image qui est en retard, qui est décalée par rapport à notre présent de spectateur. L’image qui se forme sur la lentille correspond à la lumière d’une étoile telle qu’elle a brillé « avant » qu’on ne la regarde, si bien que c’est comme une machine à remonter le temps. L’image filmée elle-même est une image « sans actualité ». À cela, s’ajoutent les sous-titres qu’on peut lire à l’écran. Il s’agit d’un collage de phrases que j’ai montées à partir d’entretiens réalisés avec des liseuses de bonne aventure qui déchiffrent les lignes de la main. Je n’ai retenu que l’essence de leurs discours, les astuces de ce langage de la divination qui leur permet d’incorporer de force notre histoire dans leurs prédictions. Parmi ces tours linguistiques, il y a celui qui consiste à faire systématiquement appel à des choses qui relèvent du passé. Une des premières phrases, c’est justement : « vous êtes une vielle âme ». En effet, elles piochent un peu dans toutes les religions, s’appuient sur la croyance en la réincarnation, l’idée des cycles. La lecture est toujours une relecture.
S. : Vous vous transformez vous-même en guetteur de rêve au sens le plus littéral qui soit avec la pièce intitulée Somniloquie (2002). Pour cette installation, vous avez réalisé des enregistrements de propos tenus par une personne dans son sommeil. L’exploitation des éléments du rêve au moment du réveil participe de votre intérêt pour le moment de l’interprétation. Comment conscience flottante, mémoire et croyance s’articulent-elles dans votre travail ?
L. M. : Ce qui m’intéresse dans l’interprétation, c’est la formation du rêve. Ce qui apparaît dans un rêve, c’est simplement une succession d’images à laquelle on donne a posteriori du sens. Comment le sens advient-il à partir du moment où l’on place deux images l’une à côté de l’autre ? Autrement dit, ce qui m’intéresse, c’est l’idée que « raconter » un rêve est un exercice qui consiste moins à reconstituer ce qu’on a vécu « en rêve » qu’à construire le rêve comme récit, ce « comment je vais le transmettre » en passant par la parole. C’est à partir de là que le rêve prend corps. Le rêve, c’est ce qu’on a vécu, plus ce qu’on en raconte. Je m’intéresse aussi au rapport entre ce qui est personnel à l’interprétation et ce qui appartient aux autres. C’est un peu l’idée de la réciprocité du récit que j’essaie d’explorer dans mon travail. Dans Readings, par exemple, des morceaux de phrases apparaissent, mais c’est nous qui leur donnons du sens, parce qu’on va les lire (au moins mentalement, puisqu’il n’y a pas de voix-off). Forcément, on ajoute quelque chose au récit. Mon idée était de laisser une petite brèche, de faire en sorte que quand on lit la phrase « vous êtes une vieille âme », on se positionne mentalement par rapport à ça, par rapport à l’écoulement du temps.
S. : Devant vos pièces, on est souvent invité à extrapoler. Les principes de l’inachèvement, de l’empêchement ou de l’interruption sont au cœur de votre travail. Cette forme d’absentement est ce qui donne à vos pièces leur caractère d’amorce dont le sens dépend de notre capacité à spéculer à partir d’elles.
L. M. : Oui, c’est le principe par exemple d’une de mes dernières pièces, Silent Key (2009). Silent Key se présente d’abord comme une salle vide. J’ai changé tous les néons de la pièce en néons de lumière du jour. Depuis la salle d’à côté, dans l’exposition, on voit cette lumière dans l’entrebâillement de la porte qui fonctionne comme une sorte d’appel vers le dehors. Quand on entre dans la pièce, on se rend compte que cela n’ouvre pas du tout sur l’extérieur et que c’est encore une salle d’exposition. Le message morse qui était diffusé et qu’on pouvait entendre du dehors est coupé dès que l’on y pénètre et il n’y a rien à voir sinon que l’un des murs de cet espace est doublé d’un second mur en briques, qui vient à une trentaine de centimètres en avant de l’autre. C’est en sortant de la salle que l’on découvre à l’intérieur du mur, dans l’espace entre les deux parois, le magnétoscope sur lequel est enregistré le message morse, qui se déclenche à nouveau, quelques secondes après que l’on soit sorti de la salle. Le message morse en question parle du silence : la pièce incarne ce qu’elle raconte. C’est un peu une pièce tautologique dont on fait, malgré nous, l’expérience.
S. : Vous travaillez également sur la neutralisation, la perte et l’effacement des choses.
L.M. : Le problème est toujours celui du temps. Pour la pièce intitulée Melancholia (2005), par exemple, j’ai utilisé une machine à produire de l’écho : une chambre d’écho à bande de type Roland RE-201 arrangée. Le principe de fonctionnement de cette machine, c’est qu’une bande magnétique est lue successivement par plusieurs têtes de lecture tandis qu’une autre tête efface la bande afin que l’on puisse à nouveau enregistrer. Ma pièce est muette, mais j’ai conservé le schéma de l’appareil : c’est pour moi une sorte de schéma de pensée, une représentation du travail du temps, de son fonctionnement par accumulation de strates. Je voulais évoquer quelque chose de très poétique avec une machine très mécanique. Encore une fois, il s’agit d’une machine datée des années 70. À cette époque, on a cherché des solutions mécaniques pour reproduire les effets de certains phénomènes sonores. Par exemple, comment recréer en studio la perception du son que l’on peut avoir dans une cathédrale ? Aujourd’hui, avec un ordinateur, on est capable de donner un delay au son en quelques secondes : ça peut se programmer. Mais la question alors était de parvenir à le produire « mécaniquement »… Dans Melancholia, la machine fonctionne mais, encore une fois, demeure une part absente. J’aime assez l’idée d’enlever systématiquement une part. Cela me semble ajouter un supplément de sens, être plus signifiant que si je laissais les choses intactes. Cette part absente produit du sens parce que, nécessairement, on cherchera à compléter. J’ai également réalisé des pièces dans lesquelles un film est projeté dans des salles qui ne sont pas réellement accessibles. Le fait que l’on se retrouve à l’extérieur nous met en face du film mais aussi de son dispositif. Quand on est inclus dans le dispositif comme spectateur, l’on ne se pose plus tellement la question de savoir comment ça marche. Il s’agit encore pour moi de créer des situations nouvelles qui engagent l’interprétation.
Réalisé le 14 mai 2009, par Teresa Castro et Jennifer Verraes.