Par Juan Camelo
Vouloir s'imaginer l'inconnu confine à toute sorte de paradoxes, que l'on veuille penser précisément Dieu (dérive scolastique), le Monde (pyramides et calculs infinitésimaux de Leibnitz), l'Âme (ou encore plus ardu : que deviennent les intestins et leur fonction lors de la réincarnation, après le Jugement Dernier?), ou bien, enfin, pour nous, la nature du futur. A ce propos le bédéiste satirique et conceptuel espagnol Miguel Brieva évoque l'idée radicale que, pour nous autres, le futur est resté coincé quelque part dans les années cinquante aux Etats-Unis - la voiture antigravitationnelle, la maison contrôlée par télécommande, l'ordinateur grand comme un ongle, les oeuvres d'art gonflables, l'hélicoptère personnel, la ligne vestimentaire et l'architecture intérieure de Star Trek… tout ceci fut soit fixé en rêve soit réalisé à ce moment précis de l'histoire, dont nous sommes tragiquement exclus. On pourrait alors distinguer les narrations futuristes des narrations d'anticipation à proprement parler. Et en ce sens un film comme 2001 : l’Odyssée de l'espace n'est pas du tout d'anticipation mais, nous pouvons l'avancer maintenant, bien plutôt une reconstitution historique dans la perspective d'une archéologie des mentalités, un éclairage sur l’expérience historique de l'enfance de Kubrick. Notre futur n'a pas d'avenir, notre avenir n'est pas un futur.
Roubaix 3000 de B.Dezoteux semble avoir accompli le cycle digestif de cette idée, intégrée comme une seconde nature, pour la reprendre sous forme d'exercice mental, comme on fait la liste des gens avec qui on a couché, comme on dessine ce qu'on voit par la fenêtre de manière distraite, gymnastique d'une habitude, dans l'espoir ludique d'y trouver autre chose. Car la science fiction comme genre est du même ressort. Les formes des extraterrestres sont épuisées depuis longtemps, la psychologie des sujets aux supers-pouvoirs aussi. Le futur pose, de son côté, au moins ceci que l'inédit sera l'effet, à partir du déjà connu, d'une nouvelle combinatoire. Un certain cinéma de S.F. alternatif peut alors ouvrir une brèche dans le stéréotype et stipuler que si les combinatoires factuelles du futur nous échappent, du moins l'on peut expérimenter dans des nouvelles combinatoire cognitives: que renouveler la perception c'est déjà devancer la perception future. Ainsi chez Tarkovski c'est par le discontinu et l'ellipse que l'inconnu peut se manifester, et la première rencontre de l'humanité avec une forme de pensée autre, Solaris, se fait par l'intermédiaire de souvenirs des personnages et donc par un violent affect mélancolique, forme d'hystérie du déjà connu. Autre futur qui regarde en arrière : chez Chris Marker et sa Jetée, la technique du voyage dans le temps, laquelle se réduit à des cotons et câbles sur les yeux de quelqu'un couché sur un hamac. Ici encore un souvenir sera le support technologique du voyage fantastique. Dans les deux cas, l'inouï du futur, inimaginable, est rabattu non pas sur les effets spéciaux hollywoodiens mais sur le souvenir humain et, de surcroît, sur le souvenir des effets spécifiquement cinématographiques - ce qui est aussi le cas du territoire magique de Stalker, pur effet de champ et contre-champ. Chez Marker, le tourner en rond de l'imagerie du futur déverse sa frustration (et il y a toute une histoire parallèle de la S.F. et de la frustration qu'elle produit) sur le film qui, syncopé et haché pour être mieux maîtrisé, régresse au stade du roman-photo-gramme. Contrairement à l'avenir, le futur est toujours un retour.
Question plus pointue encore et vastement inexploitée est celle des rapports sociaux, des moeurs ou des postures corporelles du futur. A part l'apathie robotique de Blade Runner, presque rien n'a été énoncé là-dessus. Car l'aporie saute aux yeux d'avance : quelle blague, par exemple, pour dans trois siècles ? A ce type de question, Roubaix 3000 riposte par un principe de disjonction narrative. Gestes et paroles nous glissent des mains dans une chorégraphique très précise suggérant le fait qu'entre eux il y a bien compréhension et code. Ce n'est pas de l'absurde parce qu'on ne perçoit aucune contradiction. Nous en sommes exclus, simplement. Sans parler du casting, du décalage son, et surtout du choix du décor, l'hilarité grise qui en résulte propose un pathos historique cool (froid+frais), pare-choc mental, face au modernisme ou au postmodernisme français, presque systématiquement ratés. Ce qui n'est pas toujours grave, ça peut être drôle. Donc nouvelle proposition : le futurisme bien ressassé c'est de l'actuel.
Par Juan Camelo
Vouloir s'imaginer l'inconnu confine à toute sorte de paradoxes, que l'on veuille penser précisément Dieu (dérive scolastique), le Monde (pyramides et calculs infinitésimaux de Leibnitz), l'Âme (ou encore plus ardu : que deviennent les intestins et leur fonction lors de la réincarnation, après le Jugement Dernier?), ou bien, enfin, pour nous, la nature du futur. A ce propos le bédéiste satirique et conceptuel espagnol Miguel Brieva évoque l'idée radicale que, pour nous autres, le futur est resté coincé quelque part dans les années cinquante aux Etats-Unis - la voiture antigravitationnelle, la maison contrôlée par télécommande, l'ordinateur grand comme un ongle, les oeuvres d'art gonflables, l'hélicoptère personnel, la ligne vestimentaire et l'architecture intérieure de Star Trek… tout ceci fut soit fixé en rêve soit réalisé à ce moment précis de l'histoire, dont nous sommes tragiquement exclus. On pourrait alors distinguer les narrations futuristes des narrations d'anticipation à proprement parler. Et en ce sens un film comme 2001 : l’Odyssée de l'espace n'est pas du tout d'anticipation mais, nous pouvons l'avancer maintenant, bien plutôt une reconstitution historique dans la perspective d'une archéologie des mentalités, un éclairage sur l’expérience historique de l'enfance de Kubrick. Notre futur n'a pas d'avenir, notre avenir n'est pas un futur.
Roubaix 3000 de B.Dezoteux semble avoir accompli le cycle digestif de cette idée, intégrée comme une seconde nature, pour la reprendre sous forme d'exercice mental, comme on fait la liste des gens avec qui on a couché, comme on dessine ce qu'on voit par la fenêtre de manière distraite, gymnastique d'une habitude, dans l'espoir ludique d'y trouver autre chose. Car la science fiction comme genre est du même ressort. Les formes des extraterrestres sont épuisées depuis longtemps, la psychologie des sujets aux supers-pouvoirs aussi. Le futur pose, de son côté, au moins ceci que l'inédit sera l'effet, à partir du déjà connu, d'une nouvelle combinatoire. Un certain cinéma de S.F. alternatif peut alors ouvrir une brèche dans le stéréotype et stipuler que si les combinatoires factuelles du futur nous échappent, du moins l'on peut expérimenter dans des nouvelles combinatoire cognitives: que renouveler la perception c'est déjà devancer la perception future. Ainsi chez Tarkovski c'est par le discontinu et l'ellipse que l'inconnu peut se manifester, et la première rencontre de l'humanité avec une forme de pensée autre, Solaris, se fait par l'intermédiaire de souvenirs des personnages et donc par un violent affect mélancolique, forme d'hystérie du déjà connu. Autre futur qui regarde en arrière : chez Chris Marker et sa Jetée, la technique du voyage dans le temps, laquelle se réduit à des cotons et câbles sur les yeux de quelqu'un couché sur un hamac. Ici encore un souvenir sera le support technologique du voyage fantastique. Dans les deux cas, l'inouï du futur, inimaginable, est rabattu non pas sur les effets spéciaux hollywoodiens mais sur le souvenir humain et, de surcroît, sur le souvenir des effets spécifiquement cinématographiques - ce qui est aussi le cas du territoire magique de Stalker, pur effet de champ et contre-champ. Chez Marker, le tourner en rond de l'imagerie du futur déverse sa frustration (et il y a toute une histoire parallèle de la S.F. et de la frustration qu'elle produit) sur le film qui, syncopé et haché pour être mieux maîtrisé, régresse au stade du roman-photo-gramme. Contrairement à l'avenir, le futur est toujours un retour.
Question plus pointue encore et vastement inexploitée est celle des rapports sociaux, des moeurs ou des postures corporelles du futur. A part l'apathie robotique de Blade Runner, presque rien n'a été énoncé là-dessus. Car l'aporie saute aux yeux d'avance : quelle blague, par exemple, pour dans trois siècles ? A ce type de question, Roubaix 3000 riposte par un principe de disjonction narrative. Gestes et paroles nous glissent des mains dans une chorégraphique très précise suggérant le fait qu'entre eux il y a bien compréhension et code. Ce n'est pas de l'absurde parce qu'on ne perçoit aucune contradiction. Nous en sommes exclus, simplement. Sans parler du casting, du décalage son, et surtout du choix du décor, l'hilarité grise qui en résulte propose un pathos historique cool (froid+frais), pare-choc mental, face au modernisme ou au postmodernisme français, presque systématiquement ratés. Ce qui n'est pas toujours grave, ça peut être drôle. Donc nouvelle proposition : le futurisme bien ressassé c'est de l'actuel.
Par Juan Camelo