Un film de guerre pas comme les autres.

Solitaire, Pauvre, Sordide, Abrutie et Courte. Film de Guerre (2004) de Wagner Morales.


Solitaire, Pauvre, Sordide, Abrutie et Courte de Wagner Morales n’est pas un Film de guerre comme les autres. Loin des effets pyrotechniques et des caméras trépidantes qui veulent rendre à l’écran le spectacle de la guerre et la guerre comme spectacle, le film de Morales constitue un essai intelligent et sensible, portant à la fois sur les spécificités d’un genre cinématographique et sur la complicité de la caméra avec l’organisation de la guerre. Cette dernière n’est qu’une vaste mise en scène, ce que chaque plan du film de Morales démontre avec une simplicité et une clarté remarquables. Il suffit, en effet, de pointer habillement une caméra sur le monde pour jouer la guerre. Solitaire, Pauvre, Sordide, Abrutie et Courte est ainsi autant un hommage poignant à Godard – dont le film Les Carabiniers (1963) fait figure d’œuvre tutélaire, qu’une confirmation des thèses bien connues de Paul Virilio, selon lesquelles l’arme s’accouple à l’œil et le champ de bataille est avant tout un champ de perception.

Au neuvième jour de cette guerre innommée, le ciel est d’un bleu lumineux. Subitement, un avion pénètre le cadre de l’image, laissant derrière lui une trace de fumée blanche. Et l’angoisse. D’autres avions suivent : d’où viennent-ils, où vont-t-ils ? La guerre est cette peur diffuse qui refuse à ces images leur promesse originelle et trompeuse de transparence. Un avion dans le ciel, un homme seul sur une plage en hiver : rien ne semble jamais être ce qu’il paraît. Le film de Morales se construit autour de ces micro-évènements, comme l’incursion d’un élément sur la surface de l’image ou un mouvement insoupçonné et soudain de la caméra. Grâce à une bande-son efficace, ils deviennent l’indice d’une présence, le signe inquiétant d’un regard.

Car Film de guerre est aussi, et avant tout, l’histoire d’un regard et donc d’un œil. Il s’agit d’un œil-viseur, cherchant sa cible et sa mise au point, d’un œil-fusil dans la lignée lointaine du revolver photographique de Jules Janssen ou du fusil chronophotographique de Marey. Avec cette caméra embusquée, quadrillant une plage ou guettant les ombres, nous nous trouvons non pas dans l’univers automatisé et abstrait de la télésurveillance, mais dans celui, humain (trop humain ?), du sniper. D’où l’importance, chez Morales, du cadrage : il est indissociable de cette incarnation – alarmante et paradoxalement attendrissante - d’un point de vue. Pour l’homme de guerre, écrit Virilio, la fonction de l’arme c’est la fonction de l’œil.

Solitaire, Pauvre, Sordide, Abrutie et Courte
de Wagner Morales est tout cela et plus encore. Cherchant dans Les Carabiniers de Godard son modèle critique et s’appuyant sur un travail soigné (et amusant) de la bande-son, le film est aussi un essai sur le regard cinéphile et sur le cinéma lui-même. Sur sa capacité encore et toujours surprenante à faire des blocs d’espace-temps la surface de projection imaginaire des hommes et des femmes ordinaires du cinéma que nous sommes.