Visa* pour Finlande

* (part. passé de videre) : choses vues

Finlande, 16 mm, 2000, 10 min. Un film d'Arnaud Dejeammes


Synopsis :
Un film fantastique, 59 sec.
Helskor, 41 sec.
De la neige de Finlande, de la neige de Finlande, 53 sec.
Les hôtesses de l’air meurent-elles dans les accidents d’avion ?, 43 sec.
Sans titre (version 1), 1 min 56 sec.
Le bateau, 1 min. 02 sec.
L’horizon du cercle polaire, 16 sec.
Sans titre (version 2), 1 min 56 sec.

Un jour, Arnaud Dejeammes est parti dans le Grand Nord de l’Europe pour se faire mordre par un loup. Mais un loup, ça ne mord pas (1) .

Finlande est un film à finir soi-même, encore qu’il se passera très bien d’être parachevé et d’une retombée qui risquerait d’être passablement accessoire. Finlande a abandonné toute idée de souveraineté, film de détails non administrés, défait le rapport de la partie au tout, c’est plutôt le nom d’un domaine sans titres de propriété mais pourvu d’un visa. Il ne s’oblige que de sa fiche technique au delà de laquelle il se risque à peine. Finlande est un film à titularisation littérale, fonction à peine développée de son titre-visa, dont la durée dépend de son renouvellement. Le synopsis ne développe donc pas le titre, il met en série d’autres titres et accumule des variations sur le premier : Un film fantastique, 59 sec. ; Helskor, 41 sec. ; De la neige de Finlande, de la neige de Finlande, 53 sec. ; Les hôtesses de l’air meurent-elles dans les accidents d’avion ?, 43 sec. … Sommaire plus que présentation sommaire, littéralement, c’est un inventaire de choses vues, là-bas, dans le Grand Nord.

Film de vacance, dans son genre, à ceci près que le congé accordé l’est au film. Finlande est une hypothèse de film. Du film, il s’intéresse moins à l’effet qu’à l’idée. Brut et conceptuel, non pas tant qu’il plaide en faveur de « la sauvegarde des rushes et la réhabilitation des chutes », mais plutôt que « sans oppression d’ordre (2) », il pratique une dévalorisation positive qui réarrange l’équivalence du « bien fait, pas fait, mal fait (3)».

Figures effrangées. Helskor montre un « papier peint » passé et déchiré. Celui-ci représente un paysage de montagne. Des pans entiers arrachés imitent de nouveaux sommets, le mur mord sur le paysage. Le son de Sans titre (version 1) déborde sur Le bateau ainsi augmenté d’un environnement urbain tandis qu’une averse de neige a « gelé » sous l’effet d’un collage en situation, soit de la présence, dans le champ – un square enseveli – d’un portique en forme de flocon agrandi. Ou encore : le piaillis des oiseaux qui file sur les plans de cabine d’avion et de ciels de traîne.

Morsure, gel. Arnaud Dejeammes travaille sur les bords du film, dont les fils pendent alors en formant des franges. Témoins, les amorces de pellicules assorties du décompte, les noirs, tous matériaux non exposés, seuls éléments à ne pas répondre du principe d’économie. Ailleurs, avec Is, il semble filer la même idée quand il s’agit d’inventer un programme informatique qui « gèlera » le disque dur d’un ordinateur ainsi promis à « un ennui polaire » éternel, une chute des données dans la substance. Ou encore avec Les 7, soit un tracé, sur le dos de 7 personnes, tatoués d’une ligne dont la continuité est assurée par une égale distance par rapport au sol mais vouée à se discontinuer dans la dispersion des corps.

Diversions. Resterait à nommer, à trouver la raison de ces écarts et retraits, d’un œuvré parcimonieux sinon désoeuvré qui tire ses effets d’une moindre dépense. Cela ressemble, je crois, à la condition poétique des arts plastiques, parce que le rapport de la partie au tout ne peut plus y être donné simplement.

Jennifer Verraes
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(1) D’après Frédéric Papon, « Le voyage, la trace, la disparition », catalogue de l’exposition d’Arnaud Dejeammes à la Ryerson Gallery, Toronto, mars 2002.
(2) D’après les propositions de Jean-François Lyotard, « L’acinéma », in
Des dispositifs pulsionnels, Paris, éd. Galilée, 1994 (initialement publié dans la Revue d’esthétique, juillet 1973)
(3) Selon le principe posé par Robert Filliou