Cinéma, diagrammes.

© Emily Richardson, Aspect, 2004.

Texte de Teresa Castro.

Forme de communication visuelle et graphique des plus anciennes, le diagramme est lié à une façon particulière de penser et de représenter visuellement la pensée, trouvant des exemples dans des domaines aussi différents que les mathématiques, la linguistique, l’architecture ou la biologie évolutive de Charles Darwin. Désignant un système de représentation permettant de décrire des phénomènes en fonction de la mise en évidence des corrélations entre les éléments d’un ensemble, le diagramme peut devenir, comme l’illustre bien le travail du naturaliste anglais, une façon de créer et de penser un nouveau type de réalité.
Mais le diagramme est aussi le paradigme d’un régime historique de visibilité, dont la culture scientifique et visuelle du XIXe siècle regorge d’exemples. Le champ scientifique dans lequel le dispositif cinématographique a été mis au point fut, d’ailleurs, lui-même traversé par une pulsion diagrammatique. Il suffit de penser aux innombrables expériences qui ont essayé d’analyser et d’enregistrer le mouvement, comme la chronophotographie de Marey, dont les images ont préparé l’avènement du cinématographe. La célèbre « méthode graphique » de ce dernier, consistant en la transcription sur papier ou sur une surface sensible des traces produites par les mouvements des corps vivants ou des objets mobiles, repose entièrement sur une pensée diagrammatique. En réalité, ces images, qu’elles concernent des feuilles de papier noir griffées par les appareils ou des chronophotographies, ne sont rien d’autre que des diagrammes. Dans ce contexte, on est en droit de se demander si certaines expressions des formes cinématographiques ne « diagrammatiseraient » pas elles aussi le réel, menant cette alliance entre idée et image, processus mental et acte graphique, dans les sentiers inattendus de l’image en mouvement.

Au cœur de cette pensée diagrammatique qui donne à voir et à penser se trouve la problématique de la description. Si l’acte de décrire est inséparable de l’activité créatrice de la pensée, étant toujours un acte créateur générant des points de vue sur la réalité, la portée créatrice des stratégies descriptives est très variable. Dans cette optique, la description ne serait diagrammatique que quand elle constitue la trace dynamique d’une idée. La façon dont le cinéma décrit peut, parfois, en assumer les traits, comme l’illustre la sélection de films proposée ici, allant des travaux classiques du Docteur Comandon et de Jean Painlevé aux expériences « artistiques » de Gary Hill, Emily Richardson et Stan Brakhage. Pour leur part, Jacob Cartwright et Nick Jordan font de la description inventive (ou de l’invention descriptive ?) le sujet même de New Madrid. Il s’agit à chaque fois de rendre visible et compréhensible ce qui est (en principe) déjà présent dans le réel, mais qui est jusque-là resté dans le domaine du « non vu » et du « non su ». Cette description inventive révèle ce qui était déjà là, dévoilant par ce biais un nouveau plan de réalité. Dans « ce qui était déjà là », on reconnaît l’un des traits constituants du cinéma ; pourtant, avec le cinéma diagrammatique il ne s’agit pas d’en garder les traces, mais de faire émerger à partir de là une nouvelle réalité, qui n’existerait pas si on ne l’avait pas filmée et pensée (le cinéma diagrammatique serait-il le lieu de toutes les utopies ?).

L’articulation de ces deux éléments est cruciale. Si le cinéma diagrammatique rend visible et intelligible, c’est parce qu’il produit une pensée par images qui révèle des formes et des relations insoupçonnées. Les points de vue qu’il génère ne se limitent pas à la saisie d’une réalité immédiatement observable, ils installent une véritable structure intellectuelle, technique et perceptive. Il s’agit de produire du sens et non pas d’établir une vérité. En ce sens, le cinéma diagrammatique n’est pas un cinéma illustratif, mais un cinéma des relations, ainsi qu’un cinéma morphologique, capable de dégager de nouvelles formes. Il s’agit, en somme, d’un cinéma qui pense.