Pour entrer dans Archéologies du futur, on pourrait rebaptiser ce livre, en référence au dernier ouvrage de son auteur, Valences de l’utopie [Valences of the Dialectic, Londres, Verso, 2009]. Mais « valences », non pas au sens où il s’agirait de réévaluer l’utopie, où l’on souhaiterait la réhabiliter et réaffirmer sa valeur contre les dénigrements et les rejets dont elle a fait l’objet - non, des valences dissociées de quelconques valeurs, des valences comme de simples signes, des + et des - marquant ou des pleins ou des vides.
Et l’on poserait ainsi l’utopie comme vide, comme absence, comme trou dans une époque par ailleurs obsédée, à travers le retour de la philosophie politique, par la question de la justice, de la bonne société, de la bonne constitution. L’utopie, seulement posée, simplement accolée à cet autre terme, apparaît comme chose honteuse, dérisoire et ridicule. De même, quoique pour d’autres raisons, lorsqu’on la confronte à cette autre figure du changement systémique qu’est la révolution : dans un cas comme dans l’autre, elle ne peut que s’éclipser face à ces deux formes de pragmatisme, elle qui ne place jamais ses programmes que dans un monde qui n’existe pas, alors que la révolution tire sa source de l’existant et s’interroge sur les conditions et les moyens de sa transformation, alors que la pensée politique, à notre époque, énonce les fondements de l’ordre existant et les principes de sa réorganisation.
L’utopie n’ayant d’utilité ni pour les uns ni pour les autres dans l’ordre du discours, c’est peut-être là que réside son pouvoir de nuisance : place vide, inexistence entêtée, elle vient d’abord, à l’instar de la fiction rousseauiste de l’état de nature, frapper de l’extérieur la ferme positivité de ce qui se présente comme un savoir. Mais à l’ère de la subsomption tendancielle du monde sous le capitalisme, l’utopie ne saurait plus simplement se présenter comme un espace autre, une enclave, une hétérotopie : le fossé qui séparait l’Utopie de More du reste du monde, c’est désormais le saut mental qu’il nous faut accomplir pour parvenir à penser quelque chose comme un monde radicalement différent du nôtre. Archéologies du futur n’est rien d’autre que l’impossible expérience de pensée de l’expérience de pensée qu’est l’utopie. Maintenir, quelque part, l’idée de l’utopie, c’est non seulement faire l’épreuve de l’irreprésentable, mais c’est aussi, et peut-être surtout, creuser le fossé, renverser les valences, et faire apparaître, pour une fois, notre monde comme négativité.
Texte de Nicolas Viellescazes.
Et l’on poserait ainsi l’utopie comme vide, comme absence, comme trou dans une époque par ailleurs obsédée, à travers le retour de la philosophie politique, par la question de la justice, de la bonne société, de la bonne constitution. L’utopie, seulement posée, simplement accolée à cet autre terme, apparaît comme chose honteuse, dérisoire et ridicule. De même, quoique pour d’autres raisons, lorsqu’on la confronte à cette autre figure du changement systémique qu’est la révolution : dans un cas comme dans l’autre, elle ne peut que s’éclipser face à ces deux formes de pragmatisme, elle qui ne place jamais ses programmes que dans un monde qui n’existe pas, alors que la révolution tire sa source de l’existant et s’interroge sur les conditions et les moyens de sa transformation, alors que la pensée politique, à notre époque, énonce les fondements de l’ordre existant et les principes de sa réorganisation.
L’utopie n’ayant d’utilité ni pour les uns ni pour les autres dans l’ordre du discours, c’est peut-être là que réside son pouvoir de nuisance : place vide, inexistence entêtée, elle vient d’abord, à l’instar de la fiction rousseauiste de l’état de nature, frapper de l’extérieur la ferme positivité de ce qui se présente comme un savoir. Mais à l’ère de la subsomption tendancielle du monde sous le capitalisme, l’utopie ne saurait plus simplement se présenter comme un espace autre, une enclave, une hétérotopie : le fossé qui séparait l’Utopie de More du reste du monde, c’est désormais le saut mental qu’il nous faut accomplir pour parvenir à penser quelque chose comme un monde radicalement différent du nôtre. Archéologies du futur n’est rien d’autre que l’impossible expérience de pensée de l’expérience de pensée qu’est l’utopie. Maintenir, quelque part, l’idée de l’utopie, c’est non seulement faire l’épreuve de l’irreprésentable, mais c’est aussi, et peut-être surtout, creuser le fossé, renverser les valences, et faire apparaître, pour une fois, notre monde comme négativité.
Texte de Nicolas Viellescazes.